lundi 26 novembre 2012

Suite du blog ?


Bonjour,
Depuis une quinzaine de jours, et après un séjour de deux mois en Europe, je suis de retour au Congo. En pleine saison des pluies. Tout va relativement bien et l’aventure de la petite communauté que nous sommes en train de fonder continue son bonhomme de chemin. Je pense y rester si rien ne vient changer mes projets, jusqu’en été prochain 2013.

Le blog (www.unecollineaucongo.blogspot.com) a été une aventure fantastique et j’en ai reçu des échos nombreux, positifs et sympathiques lors de mon passage en Suisse. C’est ainsi que j’ai décidé d’accepter la proposition des éditions Saint-Augustin de le transformer en livre (un projet dont je vous donnerai des nouvelles).
D’autre part bien que j’aie pensé marquer une étape et une pause après les 6 mois, je vais continuer à utiliser ce moyen pour donner mes nouvelles et chroniques, même si ce sera certainement de manière moins dense et différente.
C’est ainsi que le blog de la Colline au Congo émigre sur le site d’information des catholiques de Suisse romande cath.ch, qui accueille déjà un certain nombre de blogs intéressants. Le mien donnera une touche exotique à ce site que vous aurez certainement du plaisir à découvrir ou à fouiller…
Voici la nouvelle adresse du blog : www.cath.ch/blog/unecollineaucongo

Mais normalement en tapant unecollineaucongo sur un moteur de recherche vous allez y être conduit.
N’hésitez à laisser des commentaires, ou alors à me contacter à mon adresse d’usage :
guy.luisier@netplus.ch. Cela fait toujours du bien sous ces tropiques d’avoir des nouvelles et des mots des gens que l’on connaît et que l’apprécient.

Cordialement et chaleureusement. Guy Luisier, Notre-Dame du Kasaï (RDC) 

samedi 15 septembre 2012

Bilan ... en 13 pierres blanches et colorées!


Et voilà. Demain je prends l’avion pour rentrer en Europe. 
C’est la fin de ce blog, en tous cas sous cette forme. Je remercie tous ceux qui m’ont fait l’amitié de me suivre sur ce chemin ou sur quelques étapes. C’était une aventure magnifique à vivre et aussi à raconter.
Tirer un bilan est périlleux. Alors je m’en sors avec une pirouette et ces
... 13 choses que je n’aurais jamais imaginé faire dans ma vie :

1. Présider le chapitre général d’une congrégation en fondation !


Pour un prêtre européen vivre une fondation c’est un rêve fantastique qui redonne du souffle, vivre une mission en Afrique est une expérience hors du commun, difficile, stressante mais combien dynamisante. Il y a à peine cinq ans, j’aurais dit que c’étaient pour moi deux utopies absolues (fonder et missionner !). Comme quoi la vie offre des opportunités extraordinaires à qui… ose !

2. Voir Guy-Luisier dans les bras d’une belle maman africaine !


Etre nommé dans une famille (donner son nom complet à un nouveau né) est un honneur insigne. Guylaine-Luisier (telle que nous avons fini par l’appeler pour ne pas gâcher son avenir féminin)  est un bébé aussi magnifique que sa maman ; et son papa est désormais selon la tradition locale mon papa et selon la tradition universelle mon ami.

3. Vendre des choux sur un marché tropical
C’étaient les 300 premiers choux de notre potager et, vendus sur le marché de Kananga, ils ne nous ont rapporté que 2O Frs suisses, mais quand même, je n’aurais jamais pensé vivre cela !

4. Voir des gens très contents parce que j’ai prêché… dans une langue que je ne parle pas !


Le rêve de tout charismatique… Après une messe dominicale de la colline, la rumeur (terriblement efficace en Afrique) a couru jusqu’à Kananga que j’avais prêché en ciluba. En fait je n’avais fait que commenter en français les mots ciluba suivants : Yesu diampa dia moyo (Jésus pain de vie) et Moyo wa kashidi (vie éternelle). Comme j’ai répété à l’envi ces mots ciluba pour développer mon idée, cela a fait impression !

5. Décider s’il faut tuer ou non une chèvre qui a le nez qui saigne !


Une de nos chèvres a eu la bonne idée de tomber malade un jour que j’étais seul sur la colline (tous mes frères absents) ; la sentinelle a paniqué un peu et j’ai dû décider s’il fallait la tuer ou non. En fait j’ai décidé de patienter et la chèvre a guéri !

6. Etre millionnaire, tout en ayant fait vœu de pauvreté !


1000 frs congolais c’est pratiquement 1 Frs suisse ou un dollar environ, selon les aléas du change. Dès lors que j’allais chercher à la banque 1000 USD, que m’envoyait mon abbaye de Suisse pour les besoins de mon apostolat congolais, je me promenais comme un millionnaire en ville. Et on peut en faire du bien, avec 1000 frs suisses dans un pays du Sud. C’est exaltant et gratifiant -  pour tous -  d’être un millionnaire solidaire !

7. Confondre un tapis et un cercueil !


Les cercueils des pauvres sont ici en fibres de palmier. Un jour j’ai confondu un cercueil (posé devant une maison, en attendant l’inhumation) avec une natte roulée !

8. Recevoir la même journée cinq aspirants à la vie de chanoines.


Le rêve absolu de toutes les congrégations européennes. J’ai vécu cela ; mais sans être naïf je sais bien qu’il faudra beaucoup de temps, de patience et de discernement pour que les innombrables aspirants (une cinquantaine en 6 mois !) deviennent … quelques bons chanoines !

9. Voir un commerçant affirmer en grand sur sa devanture « Dieu me suffit » !

L’économie africaine est exsangue, mais la bonne humeur et l’espérance l’empêche de sombrer. Je ne gagne peut-être pas grand chose mais Dieu me suffit, osent dire en toutes lettres certains commerces urbains. On a envie d’aller dépenser chez eux.

10. Circuler à toute allure sans casque sur une moto dans une ville de 1'200'000 habitants !


A Kinshasa (12 mio d’habitants) c’est formellement et vigoureusement déconseillé de prendre une moto-taxi.  Comme à Kananga il n’y a que 1mio 200'000, c’est une petite ville provinciale ! Alors on ose, malgré les histoires macabres racontées, car souvent on ne peut pas faire autrement.

11. Manger des fourmis rouges, dont certaines étaient vivantes.


Mais je les ai occis dans la sauce avant de vite les avaler. Il paraît que j’aurais dû quand même les mâcher un peu, c’est meilleur. On fait comme on peut, mais c’est une expérience à faire !

12. Monter une entreprise artisanale !


Avec le menuisier, nous avons créé et organisons progressivement la menuiserie de la colline. A tâtons, car nous manquons et lui et moi de connaissances en économie pour être vraiment efficaces (tenue de comptabilités, gestions des stocks, des salaires, des ressources humaines, prix de ventes et d’achat), même si au point de vue artisanal le menuisier est un champion. Ce serait génial si cette petite entreprise pouvait progressivement se développer et s’émanciper de notre communauté qui actuellement la soutient.

13. Prier les laudes presque chaque jour avec sous les yeux un soleil levant rouge sur des brumes blanches!

Le sanctuaire où nous prions tous les jours domine à l’est la Lulua embrumée d’où sort à 6h50 un ballon rouge magnifique.
Merci Seigneur, pour chaque jour de ces 6 mois !

vendredi 14 septembre 2012

Pluies, labours, semailles


C’est la saison des pluies, tant attendues, et l’on va pouvoir semer et dans trois mois récolter ! La première averse a imbibé le sol aride après les mois secs et frais de juin, juillet et août…
Au début de la semaine, la deuxième grosse pluie rendu la terre assez meuble pour qu’on laboure, puis qu’on sème.

Villageois et villageoises vont aux champs qu’ils tournent à la houe.



Nous nous avons fait sensation en sortant notre motoculteur importé grâce à notre container. C’est que nos champs sont vastes. Défrichés en mai et juin, ils sont actuellement couverts de chaumes ; le motoculteur va retourner tout cela. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que nos espaces à cultiver étaient vraiment grands : comme la colline est bombée, on ne voit pas le bout du champ.






Joseph au boulot !
Avec le t-shirt des JMJ de Madrid !

Nous délimitons des rectangles, retournés une fois dans un sens puis dans l’autre, puis nous semons du maïs ou de l’arachide et ainsi de suite jusqu’à épuisement de l’homme et de la machine.
Jonas, un de nos paroissiens trie les graines d’arachides 
pour en séparer celles qui vont bien ou mal germer.


Au début décembre, ce sera la récolte, puis on pourra recommencer pour faire deux ou  trois cycles par an ! Car notre terre est très généreuse. Il est désespérant de voir que dans un tel contexte de fécondité la population souffre de malnutrition, mais quand on sait ses conditions de travail avec des petites houes dans cette nature abondante, on comprend mieux.
C’est ici que de vrais plans de développement agraire seraient une bénédiction, mais l’Etat ne s’en préoccupe pas plus que des routes, des écoles, des dispensaires, des, des et des…

«  Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence,
Il s’en vient, il s’en vient dans la joies, il rapporte les gerbes ! »
dit le Psaume.

jeudi 13 septembre 2012

Espérance ? Résultat du concours 14



Ce bâtiment en ruine…  me ruine le cœur chaque fois que je passe devant : il se trouve en banlieue de Kananga sur la route qui conduit à notre colline.
C’est un centre de santé et il s’appelle « l’Espérance ».


Je ne sais pas s’il est en ruine parce que jamais terminé ou en ruine parce qu’ayant subi des ravages ou des pillages (c’était le cas à la fin des années 90) !
Et il s’appelle l’Espérance !
Et le pays est un désastre sanitaire et les enfants meurent comme des mouches de malaria ou souffrent de malnutrition latente et quelquefois sévère. Les hôpitaux sont vides de malades car hors de prix. Et pourtant : 5 frs suisses la consultation dans notre dispensaire de la colline ! Mais sur notre colline 5 frs suisses représentent pour certains travailleurs 5 jours de travail!
Et cela s’appelle l’Espérance !

Ont donné une bonne réponse : Denyse à Champéry qui a découvert qu’il s’agissait d’une « maison de la santé » et Marion à Martigny « un centre de santé », grâce certainement aux lettres qu’on voyait sur la gauche de la photo. Bravo à toutes les deux (et merci pour votre fidélité au blog !). A bientôt en Suisse !

mercredi 12 septembre 2012

Histoire de la Colline


Cet article est long. Ceux qui n’aiment pas trop l’histoire passeront leur chemin (et ils ne me vexeront pas!). Mais j’ai cru bon de faire un résumé de cette aventure historique que j’ai trouvé passionnante à partir de ce que me raconte le clergé diocésain et de quelques lectures diverses. 

De la Genèse au 15e siècle
Pour parler de l’histoire de notre colline sainte de Malandji, il faut convoquer tant l’histoire lointaine qui se décline avec la colonisation de l’Afrique, que l’histoire plus récente qui résonne davantage avec quelques soubresauts douloureux de l’histoire propre au pays et à son Eglise.
Mais montons jusqu’à la Genèse et à son principal protagoniste. Dieu se dit en ciluba Mvidi Mukulu. Or notre colline s’appelle Malandji Makulu. J’avais senti la parenté entre Mukulu et Makulu, j’ai voulu y voir de plus près, mais c’est compliqué ! (Dieu) Mvidi Mukulu (on utilise un autre mot dans les autres régions du Congo) désigne l’esprit divin qui est avant, au-dessus et au-delà de tout ce qu’il a créé. Il s’agit en fait du Créateur-Eternel-Ancien-et-Surplombant-tout. Je suis assez d’accord. Alors si on emploie le même adjectif pour désigner notre colline, cela veut dire qu’elle a le prestige d’être pleine d’ancienneté et d’une aura de sainteté : Malandji est Makulu et sans doute participe-t-elle un peu du Mukulu de Dieu. Voilà qui en impose. C’est une ancienne et sainte colline.
Faisons maintenant un saut de la Genèse au 15e siècle. Mandaté par son roi portugais pour aller voir ce qui se passe le plus bas possible de la côte africaine, le navigateur Diogo Câo fait ce qu’il doit faire, courageusement, ayant toujours les palmiers de la côte en vue. Un jour pourtant, dans un étonnant brouillard vaporeux qui l’empêche de bien voir, il se trouve comme poussé vers la haute mer par une force incroyable. Mais il est tenace et s’aperçoit qu’en fait il vient de découvrir l’embouchure d’un des plus grands fleuves du monde, le Congo. Nous sommes en 1483, c’est une date dans l’histoire du pays.

Le fleuve Congo à son embouchure sur l'Océan Atlantique Sud

Dans les environs et plus bas les Portugais sèmeront des comptoirs qui deviendront, plus tard lorsqu’on aura pénétré à l’intérieur des terres, leur colonie de l’Angola. Le Bas-Congo et le Kasaï sont limitrophes de l’Angola et les frontières ont déchiré des ethnies qui les utilisent comme passoires (On raconte qu’il n’y a pas si longtemps un village congolais frontalier a hissé un drapeau angolais lors de la visite du président congolais ; les chefs étaient allés au village voisin emprunter un drapeau parce qu’ils n’en avaient pas chez eux !) . Il semble que le nom de Malandji vient d’une toponymie portugaise angolaise « Malange » qui aurait été biaisée en Malandji ; on verra comment.

Au 19e siècle
Un pas de plus encore du 15e à la seconde moitié du 19e siècle pour voir débarquer les vrais explorateurs de l’intérieur de l’Afrique. Car on connaît désormais bien les rivages de l’Afrique mais très mal l’intérieur du pays et un des enjeux est de faire la jonction entre les comptoirs de l’Océan Indien et ceux de l’Océan Atlantique ; par exemple pour les Portugais entre les comptoirs du Mozambique et ceux de l’Angola.

L'océan à l'embouchure du fleuve Congo, 
devant: quelques aventuriers,
derrière : la côte angolaise.


C’est ici qu’entre en scène un aventurier journaliste, Henry M. Stanley qui depuis l’est de l’Afrique part sur les traces d’un missionnaire britannique égaré, le fameux présummé Livingstone. Mais c’est par la rencontre de Stanley avec le roi des Belges, Léopold II, un Prussien Saxe-Cobourg, que le Congo, d’abord le fleuve puis toute la région va sortir des brumes de l’histoire. Léopold II est très riche, très diplomate, très ambitieux et très téméraire. Un vrai aventurier à couronne qui aurait pu donner un empereur s’il n’avait régné sur un peuple un peu chétif au cœur de l’Europe : la Belgique. Ce pays ne suffit manifestement pas aux ambitions du roi qui lorgne vers l’Afrique et pour des prétextes anti-esclavagistes (contre la traite arabe), se fait nommer, non sans arrière-pensées, à la tête de l’Association internationale pour la protection de l’Afrique centrale. Quand on a un pied sur le terrain…
Stanley qui s’est fait éconduire comme un malpropre par la cour d’Angleterre (notamment) est approché par Léopold qui lui demande de faire la jonction entre l’est et l’ouest sur les fleuves de l’Afrique centrale qu’on connaît si mal (on cherche toujours la source du Nil !). Sitôt dit sitôt fait ; et quand, en 1877, Stanley s’endort sous un baobab à Boma dans le Bas-Congo, (arbre que j’ai vu et que tous les écoliers de la ville doivent visiter), cette jonction est faite, ce qui n’était pas évident car la haute partie du fleuve et le bas sont séparés par une barrière naturelle de cataractes qui gênait la compréhension de la géographie. On connaît désormais en gros tout le cours de ce fleuve immense et ce n’est pas rien, et cela aiguise les appétits de toute une faune d’aventuriers occidentaux. Nous sommes en gros vers 1880.

Le grand port fluvial de Matadi dans le Bas-Congo,
juste en aval de la barrière des Cataractes.

Pendant ce temps, rappelons-nous qu’il y a tout de même des indigènes dans la région et il vaut la peine de parler d’eux, car ils bougent et notamment au Kasaï. Là un beau jour (dans le 19e siècle) un chef coutumier du nom de Luananda alias Muamba Mputu fait un rêve : un nouvel âge d’or va se lever sur le pays par la rencontre avec des hommes blanchis, des ancêtres morts revenus. Pour hâter l’événement, il faut jeter les fétiches, ce qui fut promptement fait. Un peu plus tard, vers 1870-75, un chef de la région de Kananga, Mukenge, va à la chasse et, suite à un coup de tonnerre rencontre un confrère noir sur un éléphant mort, congénère qui lui explique qu’il a tué l’éléphant grâce au bâton à feu que voilà (le fusil), qui lui a été donné par des gens de l’ouest (vers l’Angola) contre de l’ivoire. Comme Mukenge est ambitieux et qu’en même temps il veut se prémunir contre les razzias arabes de l’est, il veut vraiment ces bâtons magiques et les obtient grâce à Saturno, un marchand-trafiquant portugais qui tient le poste angolais le plus avancé à l’intérieur des terres. Son accès au fusil asseoit bien sûr la réputation de Mukenge sur ses voisins et il devient le Grand chef de la région, il porte désormais le nom de Kalamba.
Nous sommes à l’époque où l’on croise dans ces savanes de l’Afrique centrale toute sortes d’aventuriers de toutes sortes de pays : des portugais, des français, des allemands, des anglais. C’est la ruée mais le continent est très vaste… Un jour, vers 1880, Kalamba voit arriver dans la plaine herbue deux Blancs qui parlent allemand. Il les invite chez-lui et après cela, et non sans arrière-pensées, raconte partout que le rêve de l’ancien Luananda s’est réalisé, que les ancêtres blanchis sont revenus et que l’âge d’or va commencer. Il est fin, le monsieur. Toujours est-il que les Allemands partent puis reviennent et se lient avec ce roi local et que dans leur carnet on peut lire les premières incompréhensions culinaires entre ces peuples. Les Africains voulant honorer leurs hôtes ne leur servent que leur nourriture noble (leur foufou, qui me nourrit encore aujourd’hui), gardent pour eux légumes et fruits commes indignes, tandis que les Allemands notent qu’ils en ont marre de ne manger rien d’autre que du foufou, et que la nourriture africaine est d’une indigence !… Les explorateurs voient que ce roi est riche qu’il domine largement la région qui borde la rivière Lulua, qu’il a de grands champs et de nombreuses vaches et qu’il vaut certainement la peine de s’établir dans le coin. Ils demandent une place, signent un pacte de fraternité (en buvant le sang réciproque) et obtiennent une colline : notre Malandji !
En 1882, un des deux explorateurs, Wissmann, établit sur la colline un poste fortifié qu’il nomme Luluabourg, Lulua pour le fleuve en contre bas et bourg comme le burg, le fortin en allemand (on a hissé le drapeau allemand). Par contre, leurs transporteurs angolais donnent à la colline le nom de leur village d’origine Malange, Malandji.
Depuis Malandji, Wissmann continue l’exploration de la région par le fleuve. En pirogues dans des conditions incroyables, il réussit à descendre la Lulua, puis le fleuve Kasaï, puis le Kongo, jusqu’au village de Ngobila, future Léopoldville, future Kinshasa.
C’est ici qu’intervient Léopold II, mais il nous faut rentrer en Europe, plus particulièrement à Berlin où se tient la Conférence de 1885. Dans le projet, à la base assez noble, d’éviter de se faire la guerre partout dans le monde, les Européens, comme des Barbares malpropres, se partage un gâteau noir qui n’était pas à eux… Dans les salons berlinois, Léopold, roi des Belges, est à l’affut et, subtilement, il obtient la gestion personnelle du Congo, comme territoire de statut international et fonde comme monarque personnel l’Etat indépendant du Congo dont la capitale est Vivi dans le Bas-Congo, puis Boma en 1886. Grâce à la Conférence de Berlin, les Belges sont désormais là.

De 1885 à 1891
La Conférence de Berlin a eu une conséquence fâcheuse pour les Allemands de la colline de Luluabourg-Malandji. Bismarck les a lâchés et avec eux le Kasaï, non sans compensations. L’explorateur Wissmann va ronger son amertume comme gouverneur du Tanganika allemand (en future Tanzanie), mais avant de partir, il en profite pour pourrir un peu la situation politique en intoxiquant le roi Mukenge contre les Belges qui vont débarquer dans la région.
Pour le moment, la colline reste habitée et occupée par un ramassis hétéroclites d’explorateurs. Il y avait même des Américains missionnaires protestants et parmi eux, un Suisse, Heli Chatelain, qui écrira une grammaire de la langue locale où il se montre, dans la préface, peu optimiste sur l’avenir de la mission américaine. A cette époque, Luluabourg est vraiment le poste le plus avancé des blancs à l’intérieur des terres « congolaises ».
Les Belges avec leur administration (au nom personnel de Léopold) arrivent au Kasaï. Ailleurs dans le pays, ils ont marqué des points dans le domaine de la civilisation (chemin de fer de Matadi-Léopoldville) mais aussi de la barbarie : pour éviter la faillite économique, Léopold doit pressurer le pays et brutaliser ses habitants (un peu plus tard nous aurons la triste affaire des mains coupées : punition des récolteurs de caoutchouc lorsqu’ils n’en prélevaient pas suffisamment).
C’est dans ce contexte que, en 1887, le chef Mukenge-Kalamba demande le baptême catholique pour lui et son peuple, en signant d’une croix une lettre qui part en Europe. Il faudra trois ans pour que la réponse arrive sous la forme d’un prêtre scheutiste en l’année 1891.
Quelques temps auparavant en 1862, à Bruxelles, dans le quartier (à coloration flamande) de Scheut, un prêtre belge, Théophile Verbist, fonde une congrégation de missionnaires pour l’évangélisation de la Chine, vers laquelle Léopold lorgnait. De son côté, le Vatican est intéressé à l’évangélisation de l’Afrique centrale et les congrégations missionnaires (les spiritains, les pères blancs…) sont dans les starting-block. Et comme c’est là que Léopold II est en train de poser les pieds, il traite avec Rome et obtient l’exclusivité du Congo ou en tout cas du Kasaï, à la congrégation des Scheutistes qui iront en Chine (en Mongolie intérieure) mais aussi à Luluabourg.
Arrive donc à Malandji le Père Emery Cambier, un scheutiste wallon. Il est fatigué, car il a dû s’armer de presque deux ans de patience pour aboutir à ce résultat, après bien des échecs de voyages (comme quoi, rien de nouveau sous le soleil, pensé-je en moi-même !). Il est en pleine santé et enthousiate mais seul, car ses confrères se sont éparpillés volontairement ou involontairement sur le chemin entre Léopoldville et Luebo, port fluvial et premier poste du Kasaï en arrivant de la « capitale ». L’accueil à Malandji est inexistant, sauf de la part de missionnaires américains présents dans le bourg.

l'arrivée  sur la colline aujourd'hui
au temps du Père Cambier, 
pas de clocher mais des bâtiments coloniaux

 Les autorités belges, sceptiques anticléricaux et peut-être francs-maçons, ne s’occupent de ce compatriote missionnaire qui s’en trouve un peu dépité. Ce dernier marche alors jusqu’au village de Kalamba qu’il a mission de baptiser.
Mais le roi, suite à quelques ennuis politiques, s’est enfui en brousse avec une partie de son peuple, a laissé son village royal pour des habitations pauvres et provisoires dans la forêt et le P. Cambier a de la peine à le trouver et ici se situe un épisode proche du film « Mission ». S’approchant du village de fortune mais ne connaissant pas la langue, le Père Cambier sort son ocarina et apprivoise les gens par sa musique. Il réussit par gestes et traductions diverses à se faire comprendre et à se présenter comme l’envoyé d’Europe pour le baptême demandé trois ans plus tôt. Il rencontre le roi qui lui fait forte impression par son air de vieux sage à la barbe blanchie et au regard profond.
On raconte que la rencontre entre les deux hommes eut lieu au milieu de pleurs d’émotion et de joie. Le roi lui indique la colline de Mikalayi, à 12 km de la colline de Malandji, c’est là qu’il pose sa case et célèbre la messe le 8 décembre 1891, date de la patronale de sa Congrégation de l’Immaculé Cœur de Marie CICM (scheutistes) : Mikalayi est actuellement une petite ville où se trouve la cathédrale du diocèse (à Kananga, on a érigé une pro-cathédrale qui doit céder la préséance à la cathédrale de Mikalayi à 30 km de là !).
Le 8 décembre 1891 est donc considéré comme la date de la fondation de l’Eglise catholique du Kasaï. La colline de Malandji a joué un rôle central comme tête de pont entre indigènes et expatriés, même si ceux de notre colline étaient plutôt des mécréants. Comme quoi l’histoire n’est jamais toute blanche ou toute noire (c’est le cas de le dire !) mais assez grise.

De 1891 à 1950
Dès l’arrivée du premier missionnaire scheutiste et le baptême du roi local, les choses se développent au point de vue religieux mais se dégradent au point de vue politique. Autour de 1893-94, une guerre éclate inévitablement entre les Belges et le roi Kalamba dont les premiers avaient pillé le village royal. Le Père Cambier prend le parti de la Belgique et on raconte qu’à Mikalayi, il a repoussé à feux ouverts une attaque de son roi néophyte ou de son neveu successeur. Kalamba ira de défaites en défaite avant de mourir à l’autre bout du Kasaï…
Entre temps, le site de Luluabourg-Malandji se développe et commence à être connu plus loin que la région. C’est grâce à Luluabourg comme poste avancé que la riche région du sud-est congolais, le Katanga, a pu être colonisée par les Belges contre les avancées de Cécil Rhodes, qui en « Rhodésie » anglaise (la Zambie et le Zimbabue actuels) lorgnait sur ce territoire aurifère et diamantifère.
La ville subsiste lorsque d’autres postes se développent au Kasaï (Kabinda, Luebo, Lusambo). C’est le chemin de fer qui signera le déclin politico-économique de la colline de Malandji. En 1924, une ligne va relier Elisabethville (Lubumbashi) au Katanga et Illebo sur le fleuve (navigable vers Léopoldville-Kinshasa). Elle passe à 12 km de la colline de Malandji, près du petit village de Kananga, qui attire les commerçants et se développe au détriment de Malandji. On inclut alors Kananga dans le territoire administratif de Luluabourg.
Résumé : on se trouve donc avec une capitale administative (la colline de Malandji) une capitale économique (Kananga) et une capitale religieuse, Mikalayi. Mais l’économie primant, en 1950, Luluabourg-Malandji peut être considérée comme morte, elle a cédé le pas à la grande capitale régionale de Kananga.

Les renaissances de Malandji (de 1963 à 2012)
L’artisan de la renaissance religieuse de Malandji Makulu (l’Ancienne Malandji, puisque la nouvelle, c’est Kananga) est Mgr Martin Bakole wa Ilunga, premier évêque noir du diocèse, dont la personnalité flamboyante, profonde et très kasaïenne s’était faite remarquée lors de la visite du pape Jean-Paul II à Kinshasa en 1980, pour le centenaire de la première évangélisation du Congo (alors le Zaïre de Mobutu).
Ce centenaire de 1980 va en amener un autre celui de l’évangélisation du Kasaï en 1991. L’idée de fêter l’événement à Malandji a dû trotter longtemps dans la tête de Mgr Bakole, puisque certains prêtres anciens du diocèse se souviennent avoir participé à un pèlerinage à Malandji en 1963, organisé par le jeune Mgr Bakole, alors vicaire général. Mais sur le site, les pèlerins n’avaient trouvé que quelques vieilles briques rappelant à grand peine le souvenir d’une gloire disparue… Ce pèlerinage n’eut pas de suite directe.
Mais, une fois devenu évêque, Mgr Bakole va mettre dans ses priorités pastorales la célébration du cententaire de 1991, témoin de la maturité de l’Eglise locale. Dès 1985, c’était un thème de prédilection dans le diocèse. Pour cette célébration, le choix de la colline de Malandji, avec son poids historique et sa localisation à mi-chemin des deux cathédrales du diocèse devient une évidence. Un comité d’organisation travaille sous le patronage de l’évêque et son coordinateur, l’abbé Gustave Tshilumba, entreprend, entre 88 et 91, les différentes constructions qui existent maintenant sur le site : le clocher et le petit sanctuaire de ND du Kasaï, ainsi que l’église presqu’achevée et la maison d’accueil (où des prêtres recevraient des pèlerins), qui elle aussi n’a pas pu pour des raisons financières être complètement finie.

Le sanctuaire et l'église de la Colline

Des pèlerinages de préparation ont eu lieu à Malandji dès 1989, et les célébrations du Centenaire, le 8 décembre 1991, ont amené à Malandji, pour une messe sur le parvis de l’église, les huit archevêque et évêques du Kasaï et un grand concours de peuple. Un incident pittoresque a émaillé l’eucharistie : Lors de l’homélie, Mgr Bakole demande à voix forte : « Et que la cloche sonne ! » mais la cloche s’est tue. Encore une fois, mais la cloche du clocher reste muette. La corde s’était malencontreusement enroulée autour de la cloche du clocher et l’a bloquée. On est monté en escalade réparer et la cloche a sonné pendant l’offertoire. Mieux tard que jamais…
Lors de la célébration jubilaire, les diocèses du Kasaï ont pris l’engagement de faire de la colline de Malandji un pôle spirituel d’une Eglise qui, à plus de 100 ans vit une maturité dynamique. L’abbé Tshilumba, le bâtisseur du site est nommé recteur et s’établit donc dans la maison d’accueil qui doit être achevée. Des pèlerinages sont organisés chaque année et dans cette dynamique, une communauté de bénédictins d’origine allemande avec un moine haïtien à sa tête et des aspirants locaux, fonde un monastère au bord de la Lulua dans le bas de la colline… Mais le ciel va tomber sur la tête de Malandji.
En 1998, le Congo est en guerre sur les ruines du régime défunt de Mobutu. Des troupes, affluent de l’Est installer un nouveau président à Kinshasa, et les soldats mobutistes en se repliant ravagent le pays ; Kananga est pillée et mise à sac, d’abord par le fait des militaires puis par les exactions d’une population déboussolée. Plus à l’ouest, c’est ensuite au tour de la colline de passer à la casserole dans les mêmes conditions. Le prêtre recteur du haut doit s’enfuir et laisser les lieux aux pilleurs ; le dernier moine du bas, le père haïtien Joseph Hilaire, tente de résister mais doit lâcher prise… C’est la déroute de Malandji, comme une nouvelle mort.
Mais la colline peut renaître. En 2005, l’évêque auxiliaire du diocèse, qui deviendra l’actuel archevêque Mgr  Marcel Madila, se préoccupe de la pastorale des jeunes et, en lien avec une dynamique qui existe dans toute l’Eglise, instaure à Malandji le pèlerinage des Jeunes du jour des Rameaux.

Deux pèlerinages amènent donc actuellement un beau rassemblement de fidèles sur la colline dédiée à Notre-Dame du Kasaï : le pèlerinage diocésain du 8 décembre pour la patronale de l’Immaculée Conception et le grand Rassemblement des jeunes le jour des Rameaux.
Un recteur  anime le sanctuaire et a la charge pastorale des fidèles des flancs de la colline. C’est, à notre arrivée, l’abbé Pascal, que nous avons rencontré dès notre installation à Kananga. Mais il est parti pour une autre affectation après l’établissement de notre communauté dans les bâtiments qui sont restaurés (progressivement) par Mgr l’archevêque, grâce au fonds missionnaire de l’Abbaye de Saint-Maurice. 
En plus de la charge pastorale, le recteur de Malandji assurait aussi quelques messes dans la semaine au couvent des bénédictines qui se trouve à un kilomètre plus bas, dans le gigantesque monastère qu’avaient projeté les bénédictins et que les aléas de l’histoire ont laissé à l’état d’ébauche, une ébauche qui a malgré tout une certaine allure. 


Ces sœurs qui ont été chapeautées pendant le temps de fondation par une communauté de Florence (Italie) sont des semi-cloîtrées diocésaines. Pour la première fois depuis leur établissement, six d’entres elles ont émis leurs vœux entre les mains de l’archevêque. C’était le 9 mars dernier (2012), le lendemain de notre arrivée à Kananga.
L’établissement de notre communauté canoniale (CASM, communauté des augustiniens missionnaires de Saint-Maurice) sur la colline de Malandji devrait pouvoir faire de ce lieu, chargé d’histoire et de beauté, un espace de pèlerinage, de prière et de ressourcement. Nous nous y attelons avec enthousiasme et humilité.