vendredi 25 mai 2012

Du bon usage de la foudre



Notre colline est plutôt paisible, ce qui n’est pas le cas de toutes les collines de brousse entre le Nigéria et le Rwanda… Les trois communautés (nous en haut, les bénédictines au bas sud-est et les villageois du nord-ouest, à 10-15 minutes les uns des autres) essaient de vivre apparemment en harmonie puisque chacun a tout à gagner à mettre de la rondeur dans les relations. Pourtant il y a tout de même des poussées de fièvre. Nous en avons vécu une récemment.
Nous avions prévu ce jour-là  de nous rendre au monastère des sœurs pour régler avec elles des questions d’horaire de messes, de cuisine et de buanderie (elles assurent notre intendance)… A peine en route, voici qu’à la croisée des chemins qui conduisent soit vers le monastère soit vers le village, que nous voyons la supérieure monter d’un pas décidé et d’un air plus que fâché : durant la nuit on était venu voler leur pressoir à noix qui leur permet de fabriquer leur huile de palme. Une des plaies des régions de misère, c’est le vol et l’atteinte à la propriété d’autrui.
Les sœurs ont pourtant - comme nous et comme toutes les communautés religieuses – des sentinelles qui surveillent la propriété la nuit, mais il arrive que celles-ci soient de mèche avec les voleurs ou alors peinent à dénoncer des exactions commises par les propres membres de leur famille (et ici la famille c’est large !). Les histoires qu’on raconte ont un côté pittoresque si elles ne mettaient pas les nerfs à rude épreuve : les sœurs avaient déjà été dépouillées par les familles de leurs propres ouvriers de précieuses racines de manioc ; une sœur nous avait même dit que les villageois poussaient l’effronterie naïve jusqu’à venir vendre chez elles les produits qu’on leur avait dérobés… 
Le monastère des bénédictines, 
 nos consoeurs du bas de la colline, au bord du fleuve Lulua

Suite à la disparition du pressoir à noix de palme, la mère supérieure (pourtant toujours d’un calme distant et impérial) était à cran. Elle avait décidé d’aller en découdre avec le chef coutumier du village. Joseph l’accompagne et nous attendons.
Une battue est organisée. Car les villageois pensent que ce n’est pas un vol mais une vengeance avec destruction de matériel parce que les sœurs ont fait trop payer l’usage du pressoir par les villageois. Peut-être par dépit, des malveillants l’auraient jeté dans la brousse ou dans la rivière…
La battue ne donne rien et j’assiste à une rencontre, dans notre maison entre la sœur supérieure et des représentants des villageois. Ici cela se corse. Car les villageois disent à la sœur que pour eux c’est inadmissible que le village soit déshonoré par cet acte ignoble : est-ce qu’elle est d’accord qu’on foudroie le coupable ?
Cases des Villageois de notre colline

La discussion a eu lieu en tshiluba et je n’y ai rien compris. Mais plus tard lorsque les frères m’expliquent l’aventure je comprends que la proposition était d’appeler un sorcier capable de faire des incantations pour faire tomber la foudre sur le coupable s’il ne se dénonçait pas. Je me suis fait répéter l’histoire deux fois car je n’étais plus très sûr d’être en 2012.
Suite : la sœur a refusé la proposition et a quitté les villageois avec un air amer … et supérieur.
Cet épilogue me semblait une évidence, mais ce n’est pas si évident en Afrique. Car nous avons eu en communauté une discussion animée sur les pratiques de sorcellerie et en particulier le foudroiement des coupables. Les frères, pourtant chrétiens sains de corps et d’esprit, croient les histoires à ce sujet et en racontent d’autres qu’ils tiennent pour véridiques. Ils pensent qu’il y a des gens dotés de réels pouvoirs bénéfiques ou maléfiques. Ils ne « croient pas à la sorcellerie » (parce que leur religion le leur interndit), mais en constatent souvent les effets. Ici il me manque des données anthropologiques pour bien comprendre leur position entre christianisme et animisme.
Mais il y a deux histoires qu’ils m’ont racontées qui permettent peut-être d’avoir des pistes de compréhension dans cette brousse magique et mystérieuse :
- Un curé avait une fois été volé et avait accepté qu’on foudroie le voleur. On avait réuni les gens sur la place, annoncé que si le voleur ne se dénonçait pas le sorcier agirait dans la nuit suivante. Son propre frère (du curé, pas du sorcier) s’était alors dénoncé et lui avait rendu son bien ! La sorcellerie, un puissant moyen de pression psychologique ?
- Joseph nous racontait une histoire de foudroiement auquel il avait assisté mais à la fin il a fait tout de même cette remarque : lorsque les soldats pillaient pendant la guerre de 1998, les sorciers avaient essayé de les foudroyer mais cela n’avait pas marché ! Donc ils ne sont pas si puissants que ça. Mais Nicolas intervient et dit que pourtant il avait été témoin d’un fait bizarre à cette époque : un soldat pilleur s’était mystérieusement fait empaler par la selle de son vélo et en était mort. Tout le monde à Kananga avait attribué cela à une incantation.
Comme vous le voyez nos discussions communautaires sont hautes en couleurs !


PS: Belle et bonne fête de Pentecôte. Qu'un Esprit Saint et sain vous submerge!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire