Il est difficile de parler de la misère. Parce
qu’il faut infiniment de tact, bien sûr. Et souvent nos gros pieds ne font
qu’élargir des blessures et des questions. C’est une des nombreuses raisons mais
une autre est plus sournoise : on la connaît tellement cette misère de
l’Afrique que tous les mots qu’on utilise semblent trop usés, trop polis. Ils
n’accrochent plus…
Ce dimanche
22 avril, nous avons été invités
par une petite communauté de sœurs qui tiennent école, dispensaire, maternité,
et table de nutrition pour un quartier en bordure de ville, dans une
sympathique et très populeuse forêt de palmiers.
C’est là
que j’ai rencontré Joseph. Il a entre 4 et 8 ans; même les sœurs qui l’ont
accueilli sont prudentes pour la fourchette de son âge. Le papa de Joseph est
mort quand sa mère était au 7e mois de grossesse et celle-ci est
décédée lorsque lui était au 7e mois de sa vie. Il s’est retrouvé
seul avec sa mi-sœur d’environ 6 ans qui écumait le quartier par des vols
allègres et sans gène, pour se nourrir. Mais le petit garçon était très mal
nourri (on s’en doute) et lorsqu’il arrive à la table nutritionnelle des sœurs
(un repas que les sœurs offrent aux gens du quartier qui n’arrivent pas à faire
jointure entre leur faim et le contenu de leur assiette), elles le trouvent
dans un tel état qu’elles le gardent avec elles à la nourriture du couvent.
Le garçon
se requinque, retrouve figure humaine et, parce que les sœurs n’ont pas de
structures d’orphelinat, elles le renvoient chez une tante éloignée… et paumée.
Quelques semaines suffisent pour que le gamin se retrouve dans l’état de
départ. C’est alors que les sœurs décident de garder ce bout de chou avec elles
dans leur espace couvent. Il va à
leur école, donne des coups de main, porte les seaux d’eau, ouvre des portes et
illumine de son sourire espiègle ce milieu féminin, avec ses prie-dieu de la
chapelle, avec ses petites baignoires de maternité, ses lits de dispensaire et
son jardin de légumes que broutent au grand dépit des soeurs les chèvres du
voisin.
Une seule
chose que Joseph ne supporte pas, c’est qu’on lui montre la photo qu’on a prise
de lui lorsqu’il est arrivé. Ce n’est pas lui ; il ne veut pas que ce soit
lui.
Lundi 23. A l’occasion d’affaires à régler en ville,
André m’introduit à la Caritas
locale et me fait rencontrer une femme d’exception qui en est la coordinatrice.
En expliquant son travail, elle me fait le portrait de la misère locale, dont
un des fléaux est la malnutrition (on est au 21e siècle sur un des
sols les plus fertiles et les plus riches du monde !). La province a un
taux de malnutris de 15% ce qui en fait le plus haut de toutes les provinces du
Congo. L’explication vient de la crise politico-économique. Contrairement à
d’autres villes, Kananga est, ou plutôt a été, essentiellement une ville
administrative. Lorsque ce secteur se délite par les carences de l’Etat, il n’y
a pas d’échappatoire et les réflexes de l’agriculture de subsistance qui ont
été perdus ont plus de peine à refaire surface. C’est donc la gabegie
alimentaire, qui fait que la population souffre plus qu’ailleurs.
Ce qu’il y a de décourageant dans toute cette
problématique, c’est que j’ai l’impression d’entendre les mêmes discours et
voir les mêmes images qu’il y a 40 ans, dans les années septante, quand le Père
Hervé, un capucin de ma paroisse valaisanne, venait nous présenter des dias sur
la situation aux îles Seychelles. A cette différence qu’à ce moment-là nous
avions l’impression que l’Afrique malgré tout allait vers un mieux. Ici c’est
le contraire.
Pour surnager entre espoir et désespérance, une
autre histoire. L’Etat a abandonné à leur sort les prisons, comme
(partiellement) beaucoup de secteurs comme les hôpitaux et les écoles qui sont repris
notamment en mains des Eglises. Mais les Eglises ne peuvent tout de même pas
tenir les prisons à la place de l’Etat… Toujours est-il que la nourriture n’est
plus assurée dans les prisons. Ce sont les Caritas paroissiales qui offrent
tous les dimanches la nourriture aux prisonniers qui l’attendent plus que la
manne du désert. Il y a un plan de rotation dans les paroisses et chacune
s’occupe de nourrir les prisonniers par un bon repas domical. Le reste du
temps ? Je n’en sais rien ! Espoir de l’évangile, désespérance
politique.
Bonjour Guy,
RépondreSupprimerC'est clouée au lit par une mauvaise sinusite que je découvre la suite de tes "aventures" au Congo.
En lisant l'histoire du petit Joseph, et de toute cette misère de la terre congolaise je me remets en question. Et oui, en étant malade je suis un peu pénible....et je me plains pour tout et n'importe quoi. Et en te lisant, je prends vraiment conscience de tout ce que j'ai et mes plaintes se taissent.
Je porte dans mes prières ta mission ainsi que la population du Congo.
Amicalement Marion
J'imagine le "choc économique" que tu es en train de vivre.
RépondreSupprimerQuand je pense qu'ici on en est à voter pour que les animaux aient droit à un avocat!!! Complètement démesuré.
Amicales pensées et au plaisir de te lire
marie-Claude
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RépondreSupprimerS'il est vrai qu'il est difficile de parler de la misère pour les deux raisons que tu donnes, il n'est pas non plus facile d'ajouter un commentaire à ton compte rendu...Ce que je ressens? Une grande tristesse, bien sûr, à quoi se mêle un profond malaise, sans doute dû à un sentiment de culpabilité personnelle et collective : je ne peux en effet m'empêcher de penser aux écarts de notre société d'abondance et de consommation occidentale, écarts qui finissent si souvent par abrutir l'esprit et dessécher le coeur...
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