mardi 24 avril 2012

La misère ? Joseph !


Il est difficile de parler de la misère. Parce qu’il faut infiniment de tact, bien sûr. Et souvent nos gros pieds ne font qu’élargir des blessures et des questions. C’est une des nombreuses raisons mais une autre est plus sournoise : on la connaît tellement cette misère de l’Afrique que tous les mots qu’on utilise semblent trop usés, trop polis. Ils n’accrochent plus…

Ce dimanche 22 avril,  nous avons été invités par une petite communauté de sœurs qui tiennent école, dispensaire, maternité, et table de nutrition pour un quartier en bordure de ville, dans une sympathique et très populeuse forêt de palmiers.
C’est là que j’ai rencontré Joseph. Il a entre 4 et 8 ans; même les sœurs qui l’ont accueilli sont prudentes pour la fourchette de son âge. Le papa de Joseph est mort quand sa mère était au 7e mois de grossesse et celle-ci est décédée lorsque lui était au 7e mois de sa vie. Il s’est retrouvé seul avec sa mi-sœur d’environ 6 ans qui écumait le quartier par des vols allègres et sans gène, pour se nourrir. Mais le petit garçon était très mal nourri (on s’en doute) et lorsqu’il arrive à la table nutritionnelle des sœurs (un repas que les sœurs offrent aux gens du quartier qui n’arrivent pas à faire jointure entre leur faim et le contenu de leur assiette), elles le trouvent dans un tel état qu’elles le gardent avec elles à la nourriture du couvent.

Le garçon se requinque, retrouve figure humaine et, parce que les sœurs n’ont pas de structures d’orphelinat, elles le renvoient chez une tante éloignée… et paumée. Quelques semaines suffisent pour que le gamin se retrouve dans l’état de départ. C’est alors que les sœurs décident de garder ce bout de chou avec elles dans leur espace couvent. Il  va à leur école, donne des coups de main, porte les seaux d’eau, ouvre des portes et illumine de son sourire espiègle ce milieu féminin, avec ses prie-dieu de la chapelle, avec ses petites baignoires de maternité, ses lits de dispensaire et son jardin de légumes que broutent au grand dépit des soeurs les chèvres du voisin.



Une seule chose que Joseph ne supporte pas, c’est qu’on lui montre la photo qu’on a prise de lui lorsqu’il est arrivé. Ce n’est pas lui ; il ne veut pas que ce soit lui.

Lundi 23. A l’occasion d’affaires à régler en ville, André  m’introduit à la Caritas locale et me fait rencontrer une femme d’exception qui en est la coordinatrice. En expliquant son travail, elle me fait le portrait de la misère locale, dont un des fléaux est la malnutrition (on est au 21e siècle sur un des sols les plus fertiles et les plus riches du monde !). La province a un taux de malnutris de 15% ce qui en fait le plus haut de toutes les provinces du Congo. L’explication vient de la crise politico-économique. Contrairement à d’autres villes, Kananga est, ou plutôt a été, essentiellement une ville administrative. Lorsque ce secteur se délite par les carences de l’Etat, il n’y a pas d’échappatoire et les réflexes de l’agriculture de subsistance qui ont été perdus ont plus de peine à refaire surface. C’est donc la gabegie alimentaire, qui fait que la population souffre plus qu’ailleurs.
Ce qu’il y a de décourageant dans toute cette problématique, c’est que j’ai l’impression d’entendre les mêmes discours et voir les mêmes images qu’il y a 40 ans, dans les années septante, quand le Père Hervé, un capucin de ma paroisse valaisanne, venait nous présenter des dias sur la situation aux îles Seychelles. A cette différence qu’à ce moment-là nous avions l’impression que l’Afrique malgré tout allait vers un mieux. Ici c’est le contraire.
Pour surnager entre espoir et désespérance, une autre histoire. L’Etat a abandonné à leur sort les prisons, comme (partiellement) beaucoup de secteurs comme les hôpitaux et les écoles qui sont repris notamment en mains des Eglises. Mais les Eglises ne peuvent tout de même pas tenir les prisons à la place de l’Etat… Toujours est-il que la nourriture n’est plus assurée dans les prisons. Ce sont les Caritas paroissiales qui offrent tous les dimanches la nourriture aux prisonniers qui l’attendent plus que la manne du désert. Il y a un plan de rotation dans les paroisses et chacune s’occupe de nourrir les prisonniers par un bon repas domical. Le reste du temps ? Je n’en sais rien ! Espoir de l’évangile, désespérance politique. 

4 commentaires:

  1. Bonjour Guy,

    C'est clouée au lit par une mauvaise sinusite que je découvre la suite de tes "aventures" au Congo.
    En lisant l'histoire du petit Joseph, et de toute cette misère de la terre congolaise je me remets en question. Et oui, en étant malade je suis un peu pénible....et je me plains pour tout et n'importe quoi. Et en te lisant, je prends vraiment conscience de tout ce que j'ai et mes plaintes se taissent.
    Je porte dans mes prières ta mission ainsi que la population du Congo.
    Amicalement Marion

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  2. J'imagine le "choc économique" que tu es en train de vivre.
    Quand je pense qu'ici on en est à voter pour que les animaux aient droit à un avocat!!! Complètement démesuré.
    Amicales pensées et au plaisir de te lire
    marie-Claude

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  4. S'il est vrai qu'il est difficile de parler de la misère pour les deux raisons que tu donnes, il n'est pas non plus facile d'ajouter un commentaire à ton compte rendu...Ce que je ressens? Une grande tristesse, bien sûr, à quoi se mêle un profond malaise, sans doute dû à un sentiment de culpabilité personnelle et collective : je ne peux en effet m'empêcher de penser aux écarts de notre société d'abondance et de consommation occidentale, écarts qui finissent si souvent par abrutir l'esprit et dessécher le coeur...

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