dimanche 22 avril 2012

Les Kasaïens et les Valaisans

En partageant leurs discussions, leurs vies et leur espoirs, je commence à me dire que les Kasaïens sont un peu les Valaisans du Congo. Un Congo qui d’ailleurs pourrait avec avantage profiter du fédéralisme suisse, tant ses diverses composantes sont typées !


Comme les Valaisans, les Kasaïens sont persuadés d’avoir le plus beau paysage et le meilleur climat de tout le pays. Alors qu’on étouffe à Kinshasa, les Kasaïens de la capitale languissent après la petite brise qui rafraîchit le plateau de chez eux, et s’ils le pouvaient (mais il y a la barrière des distances et des billets d’avion), ils rentreraient tous les week-ends comme les étudiants valaisans quittent Fribourg le vendredi à midi pour retrouver les bords frais de la Dranse ou de la Navizance ! Et puis le foufou du Kasaï (la nourriture de base, mélange pâteux de manioc et de maïs) est incomparable par rapport à celui du reste du Congo, comme une raclette de vrai bagnes n’a rien à voir avec une raclonnette à Carouge.


Les Kasaïens sont aussi persuadés que sans eux le pays sombrerait encore plus dans le désespoir économique. Au Kasaï, il n’y a pas de routes (elles sont toutes devenues des pistes boueuses ou poussiéreuses depuis la décolonisation) ; au Kasaï il n’y a pas d’électricité (la ligne publique survole la région piquetée de pylônes pour aller dans les pays voisins, sans alimenter le million 200 000 habitants que compte la capitale Kananga… ici on se débrouille avec des génératrices privées)… Or les Kasaïens sont sûrs (peut-être avec quelques raisons) que le gouvernement central ne veut pas développer le Kasaï, « parce que si tous les Kasaïens émigrés en capitale revenaient entreprendre au Kasai, l’économie de Kinshasa s’effondrerait ! » Il faut dire qu’ils sont entreprenants, qu’ils comprennent vite, qu’ils ont tôt fait de voir où sont les postes-clés et s’y installer. A tel point que les mauvaises langues du reste du Congo les appellent les « Juifs » du pays.  Et les Kasaïens les regardent de haut !


L’esprit d’indépendance des Kasaïens est d’ailleurs patent puisqu’en même temps que le Katanga voisin, il a fait sécession dès les lendemains du départ des Belges, en 1961. Sécession (leur Sonderbund à eux) mâtée durement mais qui laisse des traces indélébiles. Lors d’une de leurs révoltes contre le pouvoir central et intransigeant de Mobutu, ce dernier avait cru bon, pour briser la fronde, de créer une nouvelle monnaie, afin d’obliger les Kasaïens de s’aligner sur Kin. Or pendant deux ans jusqu’à l’arrivée de Kabila père, le Kasaï a crânement gardé l’ancienne monnaie en narguant de loin le vieux léopard agonisant.


Leur esprit d’entreprise, leur débrouillardise et leur forte tête leur ont valu des problèmes douloureux, dont ils ne sont pas encore complètement remis. Un exemple : lors du développement économique de la région minière du Katanga, de nombreux Kasaïens y avaient été transférés, y avaient prospéré et comme ils étaient – selon leur dire et selon l’histoire - plus débrouillards et mieux formés que les locaux, avaient fini par prendre en main trop de ficelles. Ainsi lorsque les Katangais ont eu leur propre poussée d’émancipation et d’autonomie, tous les Kasaïens (dont certains n’avaient jamais vécu au Kasaï) ont été priés (litote) d’y retourner… En un jour, on a dirigé des milliers de gens à la gare de Lubumbashi, capitale du Katanga, où ils ont pour la plupart planté leur tente, car, à un train hypothétique par semaine, il a fallu 6 mois pour évacuer ce beau monde. C’est l’Afrique et c’était dans les années nonante.


Autre trait typique: ici on a le sens des valeurs traditionnelles, on obéit plus simplement et promptement aux chefs coutumiers et aux lois des tribus et ethnies et on a un sens plus aiguisé qu’ailleurs de la famille. De vrais Valaisans quoi !

4 commentaires:

  1. Mieux que toutes les séries TV !
    J'appporte régulièrement à ma maman aux Granges et à Aliette à Salvan les textes des aventures de Guy au Congo. Elles apprécient cette lecture et ne manquent pas de transmettre ces feuilles autour d'elles. J'en ai finalement fait deux classeurs dont les mises à jour sont toujours très attendues.
    Etonnant aussi de voir combien de personnes parlent de ton blog et quelle solidarité s'instaure pour transmettre les informations aux personnes qui ne sont pas "connectées" à internet.
    Sache en tout cas que tu restes bien connecté à ta paroisse !
    Avec toutes mes amitiés.
    Michel

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  2. PS pour les internautes qui voudraient faire de même : la lecture est plus aisée en copiant le texte et en le collant dans un document word.

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  3. "Les aventures de Guy au Congo" !!! ça sonne bien !
    Prions pour les mésaventures ne soient pas nombreuses ....

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  4. Salut Guy,

    Je suis dès le début avec beaucoup d'intérêt tous les épisodes de ton aventure : captivant!
    Suite du message ces jours prochains...

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