mercredi 18 avril 2012

Réflexions sur l’économie congolaise


La première fois que j’ai voulu changer de l’argent sur sol congolais – c’était à Boma – j’ai tendu au changeur un maigrichon billet de cent dollars américains. La première chose qu’il m’a donnée c’est un sac en plastique… pour mettre les liasses de billets congolais : 200 billets de 500 FRC, répartis en 8 liasses de 12500 FRC. Le billet indigène le plus gros utilisé ici est en effet le billet de 500 FRC, c’est-à-dire très grosso modo 50 centimes suisses. Il y a aussi des billets qui correspondent à 2 ct. Et donc les pièces n’existent pas et les quêtes à la messe sont très silencieuses…
Vu cette situation, on utilise - pour les transactions, disons, à partir de 10 Fr suisses - le dollar américain. Donc les Congolais manient allégrement les deux monnaies… au moins dans leurs têtes si ce n’est dans leurs poches.
Le rapport entre les deux monnaies est une parabole de ce que vit l’économie. Elle est faiblissime et pressurée par les grandes puissances dont le dollar est un symbole omniprésent et omnipotent, même s’il n’est pas souvent dans la poche des Congolais. Lorsque les plus chanceux gagnent - irrégulièrement - entre 50 et 100 dollars par mois, on ne va pas loin…
L’économie congolaise vit une sinistrose galopante, elle est dépressive. Le Congolais fait penser à un pauvre péquin tout maigre faisant une dépression sur un tas d’or. Et ce n’est pas qu’une image, car les Congolais savent que leur sous-sol est veiné d’or, de diamants, et de minerais plus solides les uns que les autres. Mais ce sous-sol est pillé et exporté sans vergogne ailleurs, sous l’œil complaisant d’une politique dont on ne comprend pas les mobiles…
L’économie congolaise est donc presqu’exclusivement informelle. C’est l’article 15 qui domine. Lors d’une tentative de sécession du Kasaï, on avait tenté de rédiger un rudiment de Constitution en 14 articles. Cette constitution s’est bien sûr envolée mais est resté un 15e article : « Débrouille-toi ».  Alors on se débrouille comme on peut ; mamans, papas, enfants multiplient les petits-boulots, les petits-commerces-de-rien, pour apporter un peu de foufou à l’unique (souvent) repas de la journée.

Et en même temps tout se dégrade. Les routes sont de plus en plus creusées en pistes, les écoles ont toutes les vitres cassées et les murs pourris, les usines sont des souvenirs et l’électricité traverse la ville de Kananga sans l’éclairer… C’est très douloureux pour mes frères, revenus au pays après plus de 7 ans d’absence, de sentir ce délabrement progressif d’un pays qu’ils aiment…
Un soir, je parcourais les rues de la banlieue avec Joseph. Il m’a dit qu’il pensait que cette ville allait disparaître. Il avait connu des avenues asphaltées là où maintenant c’est un chemin poussiéreux, plein d’herbes et d’immondices. Il faisait du vélo rapidement là où maintenant les trous et les ornières profondes et irrégulières. Il y avait de larges trottoirs, là où maintenant quelqu’un a construit sa petite case, son bout d’échoppe (on brade en lotissements sauvages l’espace public).  Il y avait de l’électricité là où maintenant on marche le soir dans un noir hésitant.  « Cette ville va disparaître » et j’imaginais ces quartiers  comme évaporés dans la poussière ou alors enfoncés dans les herbes et les ordures comme en du sable mouvant, évanouis corps et biens dans un naufrage inéluctable. Naufrage : cette discussion avait lieu au retour la messe de la Cène du Jeudi Saint, au moment où Jésus va dans le noir, titubant de peur vers le Jardin des Oliviers !
Chaque jour à la prière André fait une intention pour qu’il y ait plus de paix et de justice dans notre pays. 

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