De temps en
temps en ville on assiste à des scènes mémorables, car personne n’a envie que
ces gens-là s’intéressent à soi : la plupart des conducteurs n’ont pas
leurs papiers en ordre, et le savent. Et les autres n’ont pas leurs papiers en
ordre, mais ne le savent pas. Donc le roulage a toujours raison et a droit à
son sucré (billet par-dessous) pour nous laisser tranquilles.
Une fois
mes frères ont raconté qu’un bus à qui un roulage signifiait de s’arrêter à un
carrefour n’avait pas obéi. Tout le monde alentour, sauf le roulage, s’était
aperçu avec effroi que c’était parce qu’il n’avait pas de frein. Devant les
cris de tous, le roulage a juste eu le temps de ne pas se faire écraser. Mais
je pense que les gens auraient bien voulu voir cela…
Omniprésence des motos-taxis en ville de Kananga
Le pire
encore ce sont les barrages routiers (permanents !). J’en ai fait moi-même
l’expérience, étant la cause
d’âpres « tractations ». Histoires :
Il y a un
roulage à la sortie de la ville de Kananga en direction de notre colline, sur
la grand route ( !) pour l’ouest et donc la capitale. C’est une barrière
avec des policiers censés prendre le numéro de toutes les voitures qui passent,
pendant que leurs collègues boivent des verres devant la maison qu’ils occupent
en contrebas de la piste. Parce que c’est plutôt calme comme boulot ; il y
a surtout des vélos et des piétons sur cette artère principale du pays. Mais en
fait les deux ou trois policiers (dont une dame qui fait plus peur que les
messieurs) qui sont sur place s’arrondissent leur fin de mois (leur salaire
frisant la misère !) : « Donne-moi un café (c’est-à-dire la
somme correspondante) et je ne t’embête pas avec les documents que tu n’as
pas ! » (en français, entendu de mes propres yeux ( !)) ou alors
en tshiluba (traduit ensuite par mes compagnons de malheur) : « Ce
n’est pas bien de ne pas vouloir me donner quelque chose : tu donnes un mauvais
exemple au blanc. Il ne me donnera jamais rien les prochaines fois. »
J’ai vécu
aussi une aventure au peu chaude au roulage de Mikalayi, petite ville à 12 km
de chez nous, première mission catholique du Kasaï et siège de la cathédrale
« antique » (120 ans !). Nous l’avons visitée avec André et nos
deux chauffeurs de motos : Albert, le fils de notre plus proche voisin et l’abbé
Pascal, le précédent curé de la colline. A quatre km de la ville, dans un
hameau, il y a un roulage. A l’aller pas de problème, le curé est acclamé comme
une personnalité très populaire de la route ; il semble effectivement
connaître tout le monde et tout le monde l’appelle affectueusement « le
fantôme », je n’ai pas bien compris pourquoi. Albert est aussi connu car
il fait le moto-taxi entre Kananga et Mikalayi (c’est pratique pour lui car ses
parents habitent à mi-chemin)…
Au retour,
c’est une autre chanson, bien moins agréable, car entre temps, toute l’équipe
du roulage a changé et c’est une équipe « fraîche » (aux deux sens du
terme) qui nous arrête, bien décidée à en découdre et à ne pas nous ouvrir la
barrière sans combat ! On demande ses papiers à Albert, ceux-ci semblent
manifestement faux car les données principales sont presqu’effacées. Il
s’excuse disant qu’un jour de pluie, il est tombé et ses papiers se sont
mouillés… Pour l’abbé Pascal c’est encore pire parce qu’il n’a carrément pas de
papiers. Il dit qu’il n’en a jamais eu besoin « car il est curé et tout le
monde le connaît ». Raté, le roulage ne le connaît pas et entend
confisquer sa moto. On fait mine de vouloir aller à pied, mais c’est un
stratagème dangereux puisqu’il y a environ 8 km et que la nuit tombe. Le ton
monte, André se fâche contre un policier qui semble noyé d’alcool et de
chanvre. Cela n’arrange pas les choses. Le curé se fâche aussi mais cette
tactique ne marche pas plus. André menace d’appeler leur chef que connaît une
de nos connaissances. Albert lâche 2000 frc (2 frs) et … à partir de là
mystérieusement tout se dénoue rapidement, et on peut partir.
En fait
c’est moi la cause de toute l’aventure. Le roulage a avoué qu’un convoi avec un
blanc avait nécessairement de l’argent, alors…
Omniprésence des motos-taxis en ville de Kananga
PS. Lundi 4
juin a eu lieu une grève des motos-taxis qui a paralysé la ville et la vie à
Kananga, qui a suivi en cela l’exemple de Kin il y a quelques semaines. C’était
pour protester contre les tracasseries dont les motos font l’objet de la part
du roulage. En effet pour des motifs légaux (papiers et assurances) et illégaux
(corruptions diverses), les roulages arrêtent, bloquent et agacent les taxis et
leurs clients, à tous les coins de trottoir possible. La grève a été bien
suivie. Mais sera-t-elle suvie d’effets ?
NB. Vous n’avez droit qu’à des photos de motos.
Je ne suis pas encore suffisamment « reporter sans frontières » pour
oser photographier un roulage… On ne sait jamais ce qui peut arriver, Amnesty
international et tout le reste…
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