mercredi 4 avril 2012

L'esprit chanoine


Notre Père saint Augustin a dit : « Aime et fais ce que tu veux ». Et au cours des siècles, cette injonction a pénétré jusqu’au fond de l’âme des chanoines et est en train de débarquer au Kasaï. Bien sûr la phrase a d’abord une portée théologique et mystique rappelant que la vraie liberté se construit sur l’amour de Dieu et des frères, mais il n’empêche : les chanoines lui ont donné aussi une portée plus pratique et concrête et ont toujours mis beaucoup d’amour à vivre de façon originale et indépendante, selon l’ « esprit chanoine ».
Depuis quelques jours, il y a comme un « esprit chanoine » à Kananga. L’expression a été forgée par nous (et nous entendons bien le diffuser avec ou malgré nous) ; elle est empruntée à « l’esprit kinois », cette façon originale de vivre et de s’habiller de la jeunesse hyperbranchée de Kinshasa. Nous en avons vu un exemplaire « faire une apparition » lors d’une visite chez des sœurs de Nicolas : un gars d’une vingtaine d’années, veston bleu pétant, pantalon blanc, cravate orgueilleuse, chapeau… canne ! Plus cela paraît original et décalé, plus cela fait « esprit kinois »…
Et « l’esprit chanoine » ? Notre petite communauté de quatre personnes le vit par cette façon indépendante et originale qu’a chacun de nous de s’habiller ou de prévoir un habillement pour une occasion. L’autre matin cela crevait tellement les yeux que nous nous en avons ri : nous avions en Suisse prévu des habits communautaires pour la prière ou pour les sorties, mais pas moyen de passer ici de la théorie à la pratique. A laudes, nous avions quatre habits différents : Joseph en soutane, Nicolas en civil, André aube avec camail, moi aube sans camail. A table pour le petit déjeûner, avant de nous diriger vers  la cathédrale pour la messe : moi en chemise et croix, André en chemise-col-romain, Joseph en soutane et ceinture blanche et Nicolas en safari (veston sombre à manches courtes, très classe). J’ai mis ma chemise à col romain (pour faire plus prêtre que mes diacres, tout de  même !) mais communautairement nous avons renoncé à nous harmoniser davantage. « L’esprit chanoine » nous l’a empêché.
Autre signe de l’esprit chanoine : il en manque souvent un. A part la prière où, vêtus de façon différente, nous sommes ensemble (et n’est-ce pas l’essentiel !), nous avons de la peine à faire des activités, à répondre à des invitations tous les quatre ensemble. L’autre soir, à l’occasion des ordinations et de la fête du sacerdoce, Monseigneur avait invité le clergé à une garden-party à l’archevêché. Tables et chaises de jardin, buffet très garni, martinis et champagnes, lumière tamisée sous lune pâle, sets de table à bord doré, hauts-parleurs diffusant le « temps des cerises » par Mireille Mathieu… la classe quoi ! A la fin, dans une ambiance très sympa, l’archevêque veut présenter à nouveau les « chanoines de Malandji » aux prêtres présents : Nicolas était en chemise colorée, André en cravate, moi en col romain et Joseph était resté endormi au Thabor, trop fatigué par la journée. L’esprit chanoine avait encore frappé… Mais je précise que si les 6 ordonnés de la table d’honneur, complètement épuisés et tétanisés par la journée, étaient en complets-vestons très stricts, Monseigneur l’Archevêque nous recevait en toute simplicité : une belle chemise de boubou blanche avec des reflets damassés bleus !

1 commentaire: