vendredi 30 mars 2012

Boire et manger


Disons-le d’entrée, puis passons à autre chose. Ce n’est pas ici que je maigrirai. Peut-être sur la Colline avec un régime austère de trappiste en carême, mais ici, en ville, non.
D’abord le boire. Ici on ne boit que de la bière (de la Skol, ce qui fait que je pense souvent au curé de Finhaut, dont le petit chien porte comiquement le même nom ! Salutations à Jean-Pierre et à ses Fignolins). On boit aussi de l’eau mais comme boire de l’eau est ici aussi nécessaire que respirer, cela ne compte pas…
De la bière donc. Or, déjà en Europe, je n’aime pas ce goût âcre. Mais j’ai compris qu’on y échappait pas. La plupart du temps on ne sollicite pas votre avis et vous avez votre bouteille de 72 cl. devant vous avant d’avoir trouvé la parade.
A Kinshasa, on vous demandait ce que vous souhaitiez, mais je ne m’en tirais pas mieux. Une fois, une maman d’André (ici, les tantes, cousines et amies très chères sont toutes nos mamans), Ma Véro donc, chez qui nous étions invités, me demande ce que je souhaite boire en apéritif. Je saute sur l’occasion et je lance : « un sucré », c’est-à-dire coca ou fanta. Je la vois partir dans le couloir, faire demi-tour et me déclarer avec conviction : « Vous ne voulez pas plutôt une bière ». J’ai compris que c’était comme si j’avais demandé un sirop menthe, pendant une raclette dans un carnotzet de Saillon.
Le manger maintenant. On mange plutôt bien. L’impression est que chaque repas est composé de plats variés, mais finalement  que la cuisine est assez monotone au fil des jours… Sauf les grands moments dont je parlerai plus bas à ceux qui ont l’estomac bien accroché.
Les repas sont plutôt des buffets. Lorsque vous êtes invités : sur une crédence ou au milieu de la table, s’alignent une dizaine de casseroles en émail colorés, dans lesquels vous trouvez du riz, des pâtes, des légumes (surtout des feuilles cuites, genres épinards exotiques), de la viande (poulet, lapin, chèvre, boeuf…), du poisson cuit en sauces… En sus la petite coupelle de piment et une sorte de petite barrique en plastique contenant le foufou du coin, une pâte amidonnée de maïs et de manioc, que les Kasaïens mangent à la main comme le pain chez nous…
Si vous mangez de tout, vous avez l’impression de manger tous les jours, matin et soir, la même chose. C’est donc à vous d’adapter vos buffets d’un jour sur l’autre si vous tenez à éviter la monotonie.
A partir d’ici, les âmes et estomacs sensibles sont priés d’émigrer sur un autre blog. Le nec-plus-ultra de la cuisine congolaise : les chenilles et les fourmis. Lorsque dans un repas d’invitation, mes frères voient la casserolle des chenilles, ils trépignent d’aise, en vrais chanoines, avec une candeur que je leur envie. J’ai décidé d’en manger, parce que ce n’est pas la peine d’être au Kasaï pour se nourrir comme à Chemin-Dessus. Les premières chenilles que j’ai avalées étaient petites et noires baignant une sauce assez ragoûtante et avec un goût et une impression de lardons grillés, j’ai assez aimé. Mais à un autre repas, puis un autre, chaque fois les chenilles grandissaient et devenaient striées… On m’expliquait que les grandes sont plus difficiles à préparer car il faut enlever les arêtes… Bon, voilà…
Les fourmis maintenant. Aujourd’hui au centre de la table des sœurs diocésaines qui nous invitaien trônes un plat de fourmis rouges, baignant dans une sauce huileuse et agrémentées de rondelles d’oignons. 

Je sens à l’ambiance que c’est le « foie gras » de chez nous… J’en mets sur bord de mon assiettes déjà remplie du buffet sus-mentionné. C’est alors que je vois qu’une des fourmis est sur le dos et bouge les pattes. Comme la Sœur Chantal est sympa, je lui dis que j’ai une fourmi vivante dans mon assiette. Elle me répond : « pas de problème, noyez-là dans la sauce à côté ! »… J’ai fini presque fini mon assiette, n’ai laissé que les os du ragoût de chèvre et une demi-chenille qui ne me descendait plus.
Je sais que beaucoup croiront que ces derniers paragraphes sont un canular, mais je jure sur la tête de saint François d’Assise parlant aux chenilles et aux fourmis que c’est vrai.

Apprendre la langue


La vraie douane d’un pays c’est l’apprentissage de sa langue. Il faut que je la franchisse, ne serait-ce qu’un peu, quel que soit le nombre de mois que je passerai ici.
Depuis hier, après quelques mises en jambe par André, j’ai mon cours de tshiluba, avec Sr Marguerite, docteure en linguistique africaine et professeure à l’Institut supérieur de pédagogie, bref, une copine. Nous avons en effet déniché cette pointure en allant boire une bière chez des sœurs que les frères connaissaient à côté d’autres sœurs qui nous avaient invités à dîner. C’est ainsi que cela se passe ici : on taille une bavette avec une religieuse sympa et l’on apprend vers la fin de la conversation qu’elle vient de soutenir sa thèse à Kin en médecine ou en ingénieurie agro-vétérinaire…
Sœur Marguerite est un spécimen unique de religieuses caustiques, très sensibles et indépendantes, que leurs supérieures doivent craindre et envier et dont il doit exister au moins un exemplaire dans chaque communauté entre Ostende et Prétoria…
Elle a la douceur tranquille qu’il faut pour aborder une langue qui vous est étrangère jusqu’aux points des i. Spécialiste en langues bantoues qui chantonnent dans toute l’Afrique noire sauf au nord-est, elle a fait sa thèse sur un idiôme voisin du tshiluba (la langue principale au Kasaï) et connaît la musique de ce dernier comme un flûtiste son pipeau.
Elle insiste beaucoup sur l’intonation des différentes syllabes. En effet quand le même mot (« tshilamba ») peut signifier, suivant les intonations : « le pont » ou « le truc qui rampe » il faut mieux savoir intonner  au bord des rivières. Mais je peine et me sens souvent presqu’aussi nul que devant Madalèna durant le cours de patoué de Charvan.
Alors je crâne en posant une question qui fait allusion aux 5 déclinaisons du latin que j’ai enseigné dans une vie antérieure. Et la sœur, délicatement, me rabat le caquet en alignant les 18 – si faciles – classes nominales qui changent en fonction des préverbes et préfixes. J’ai le tournis et cela m’apprendra à faire mon pédant.
Aujourd’hui j’ai notamment appris que « bébé » se disait muana mutoke, « l’enfant blanc » parce que les bébés noirs sont blancs ! Mutoke c’est le blanc. Quand on me désigne dans la rue, on dit : « Mou, toqué ! », ce qui crève de bon sens !
J’ai appris aussi que l’heure et le soleil c’est le même mot. Assez poétique. « Quel soleil est-il ? Il est deux soleils et quart, ça tape chaud ! »
Et merci, c’est « Tuasakidila ». Moyen mnémotechnique : Tu-as-ça-qu’il-dit-là. « De rien ; prochain cours : demain, à 8 soleils du matin ». 

deux belles journées


Hier, j’ai eu mon cours de tshiluba avec Sr Marguerite (voir article : apprendre la langue)
Puis nous sommes allés manger dans la famille de Nicolas, qui a à Kananga des papas et de mamans (oncles et tantes) et donc une ribambelle de frères et soeurs (vrais frères et sœurs, vrais cousins, vrais neveux, je ne m’en tire pas). On a presque tué le veau gras parce que le fils parti « là-bas » (c’est-à-dire, à l’étranger) est revenu en bonne santé, c’est là que s’arrête la comparaison avec la parabole… Nous avons bien mangé (voir l’article : boire et  manger)
L’après-midi, nous sommes allés sur notre colline de Malandji (à 12 km de Kananga) contrôler les travaux et visiter l’église et le sanctuaire. Ci-dessous quelques photos. Nous pensons toujours nous établir sur notre colline la semaine (Sainte) prochaine, même si nous n’y avons pas encore 1. de meubles, 2. de l’eau courante, 3. de l’électricité. Des détails ! De plus notre container semble mouiller dans quelque port recuit du Golfe de Guinée, on ne sais pas quand on l’aura…

Ce matin, (au Thabor, où nous logeons encore) j’ai participé à la récollection de Carême des prêtres du diocèse. Mes diacres n’ont pu y participer mais j’ai été bien accueilli par Monseigneur et les 50 abbés présents. Programme :
- conférence sur la conversion (de très bon ton, concret et profond)
- trois quart d’heure pour se confesser réciproquement !
- conférence sur les mesures canoniques imposées par Rome dans les affaires des abus sexuels. Après l’Europe, l’Amérique, et maintenant de plus en plus l’Asie, l’Afrique sent bien que ce sera bientôt son tour de vivre cette douloureuse épreuve du feu…
- rapport de l’économe diosésain sur les quêtes des Œuvres pontificales missionnaires (très content, notre diosèse est un des premiers du Congo pour  la somme envoyée à Rome). C’est la quête de la mission universelle, qu’on appelle joliment ici quête de la solidarité universelle. Davantage de problèmes pour la quête diocésaine (pour les œuvres du diocèse) qui est très nouvelle. De nombreux curés semblent se rebeller parce que leur paroissiens sont trop pauvres (ce qui est plus que vrai) ; mais l’économe met aussi le doigt sur le fait que certains curés semblent aussi se servir au passage avant de transmettre au diocèse, qui a besoin de cet argent pour les séminaristes, les étudiants, les malades et pour une redistribution symbolique à tous les prêtres… Sur ce point qui est en lien avec la vitalité des paroisses et du christianisme africain, je pense faire une article tantôt.
- mot de notre archevêque Marcel avec des points d’exhortation très concrets dont je ne résiste pas à vous transmettre les plus pittoresques : « Lavez et repassez vos aubes avant de venir à la messe chrismale ». « N’achetez plus des chaises en plastique, c’est trop facile à voler à l’occasion des veillées funèbres ; faites faire vos bancs ou chaises à la menuiserie diocésaine. » « Prenez du temps pour écouter vos jeunes ; offrez-leur des terrains de foot ; c’est une responsabilité pastorale » « Ne faites pas des messes trop longues, pas plus d’une heure trois-quart… J’ai appris que chez un curé la messe dominicale de 6h se terminait à 10h, cela ne va pas »…
- messe et repas en commun.
Ce fut une très belle journée.
Voici donc les photos de notre Colline de Malandji, où nous nous réjouissons d’aller habiter bientôt. 



mercredi 28 mars 2012

Journée ordinaire

Bonjour, aujourd'hui, journée ordinaire: j'ai eu ce matin un cours de tshiluba avec Sr Marguerite, docteure en linguistique africaine. Après nous avons réglé quelques affaires et sommes allés mangé chez les soeurs diocésaines qui vivent à côté de l'archevêché. Comme c'était haut en couleur, cela m'a donné l'idée d'un article (ci-contre, bientôt) sur le boire et le manger. Bon appétit et à bientôt.


mardi 27 mars 2012

de Kananga

Bonjour, nous sommes donc à Kananga. Notre communauté naissante trouve ses marques à quelques pas de l’archevêché, à la maison d’accueil « Thabor », un vaste domaine verdoyant, une sorte de "Pelouse-sur-Bex" tenue par quatre carmélites apostoliques (deux indigènes et deux latino-américaines, dont une est arrivée il y a trois mois et doit apprendre à la fois le français et le tshiluba, mais parle actuellement un sabir enthousiaste mais indéfinissable entre l’espagnol américain et le français « camerounais »; nous essayons de ne pas rire). Nous formons une communauté hétéroclite pour dire ensemble les vêpres.
J’apprends avec André le tshliluba, nous avons fait l’analyse sémantique et précise du Notre Père (Tatu wetu) et du Je vous salue Marie (Moyo Mariya)
Nous nous mettons progressivement à notre tâche apostolique et, en bons fils de l’Abbaye de Saint-Maurice, la première œuvre à cadrer est le rythme des offices. Nicolas, notre secrétaire, vient de glisser sous la porte de ma chambre l’horaire provisoire ad experimentum des offices liturgiques. C’est donc bien parti. Nous faisons au moins ce pourquoi nous sommes venus.
Nous avons adapté notre horaire à la lumière du soleil. Ici il n’y a du courant qu’entre 18h30 et 22h30. Je me lève à 6h15, dans le gris, me rase à 6h30 en voyant à peu près ce que je fais et la suite :
6h45 laudes et messe
7h30 petit déjeuner
12h15 milieu du jour
12h30 diner
18h vêpres
19h souper
20h complies
NB (de Nicolas) : A chaque office, si deux personnes sont à l’heure, ils peuvent commencer. L’effort de tout un chacun sera d’être à l’heure. 
A part cela, les frères visitent leur famille (Joseph n’a plus revu les siens depuis 7 ans et trouvent quelques surprises…) , les reçoivent ici et tous ensemble nous répondons à des invitations de communautés religieuses. Comme si tout le microcosme religieux de la ville voulait voir cette communauté qui va s’établir sur la colline sacrée.
(voir articles récents ci-contre à propos de notre colline)
Au point de vue matériel nous avons pour but de tout faire pour nous établir le plus rapidement possible sur la colline de Malandji. Nous prenons les contacts nécessaires. Comme le container qui amène des affaires et des meubles  ne sera pas là avant quelques semaines (ou mois ?), il nous faudra trouver des solutions provisoires : emprunter des lits par ci par là, trouver quatre assiettes, trois meubles et deux nattes... Nous y pensons.
Tout va bien, et j’en ai rendu grâce à Dieu, ce soir, à la chapelle, après les complies chantées de la solennité de l’Annonciation. « Il est venu habiter parmi nous ». Quand on est loin de « chez nous » et qu’il faut se faire un autre « chez nous », le nous de l’Incarnation prend du relief.

PS : 
Merci à tous ceux qui m’envoient des nouvelles et des échos du blog ou de la vie en Suisse, cela fait vraiment très plaisir. Merci en particulier au Père Abbé,  à mes frères Marc-Alain, à Liège, Claude et à ma belle-sœur Nath à Ovronnaz, à Denise à Dax et au Père Yves à Salvan, à ma filleule Mitri pour leurs envois. 
Je peux recevoir mais je ne peux pas répondre (problème technique qui me dépasse)… 
Est-ce que quelqu’un pourrait transmettre l’adresse du blog à Sr Gabriela au Togo ?
Pour répondre à Michel Cergneux qui m'a demandé comment communiquer, sachez que vous pouvez soit laisser un commentaire publique par le blog soit m'envoyer un mail à mon adresse guy.luisier@netplus.ch
Merci et tout de bon en particulier à tous les Salvanins qui m’ont lu jusqu’à cette ligne !

dimanche 25 mars 2012

La mission a commencé pour de bon (25 mars 12)


(lisez l’article sur le voyage vers Kananga, ci joint)
Nous sommes arrivés à Kananga le 24 au matin et avons été reçus à l’aéroport par le staff de l’archevêché. Celui-ci s’est occupé de toutes nos formalités aéroportuaires et nous a conduits chez Mgr qui nous a gardé à diner et invité pour le lendemain 25 mars aux premiers vœux des premières bénédictines  de Malandji (nos consoeurs voisines du bas de la colline). Belle coïncidence ; il doit y avoir un peu du Saint-Esprit là-dedans.
Kananga m’a séduit tout de suite par son ambiance aérée de village vert et arborisé tellement différente de la poussière polluée de Kin ou du chaudron étouffant de Boma. Nous sommes sur un plateau ventilé et l’œil est sans cesse reposé par un arbre cossu inconnu ou un palmier frétillant. Je pense que je vais me plaire ici.
25 mars. Nous  sommes partis pour la messe des vœux dans la voiture de l’archevêque. Avons vécu une belle marche d’approche de notre domaine, la ville, la banlieue et ses petites cases, le pont sur la Lulua, le carrefour vers la colline, la piste ocre, le clocher dans les arbres, notre maison, notre église puis la descente au monastère des sœurs…
La messe a commencé à 9h30 et s’est terminée à midi, avec les chants, les danses, les prières, les discours de circonstance. Dans une messe africaine, il faut se laisser faire (sinon on s’ennuie ou s’agace), accueillir la lenteur des choses et en même temps leur vivacité comme des dons fraternels et des passerelles vers quelque chose de plus éternel… Ce qui est admirable dans cette façon de prier c’est le génie de l’appropriation. Après leurs vœux les 6 sœurs ont chanté un psaume en grégorien, mais de façon tellement africaine que Saint Grégoire s’en est retrouvé tout bronzé…
Au retour après le repas officiel, Mgr Madila nous fait visiter chez nous et nous explique les travaux faits (beaucoup) et à faire (beaucoup). Nous sommes de plus en plus enthousiastes à aller habiter sur la colline le plus vite possible…